LES MATHÉMATIQUES - ÉPISTÉMOLOGIE

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Les mathématiques sont définies classiquement comme la science de la quantité et de l'ordre. Au départ d'une théorie mathématique on trouve:

La crise des mathématiques au XIX°: Les fondements des mathématiques furent ébranlés au XIX° siècle avec l’introduction des géométries non euclidiennes par Lobatchevski (remise en cause de l’axiome des parallèles). Avant cela personne ne remettait en doute les bases sur lesquelles les mathématiques étaient fondées. Cela donnait :
  1. les fondements de la géométrie semblaient incertains
  2. l’espace physique peut être décrit par d’autres géométries que celle d’Euclide
  3. Il n’y a pas de géométrie plus vraie qu’une autre

L’analyse était elle aussi mal assise sur ses bases:

  1. aucune axiomatique même rudimentaire n’avait été tenté pour l’arithmétique
  2. l’analyse présentait de nombreuses difficultés pour raisonner sur l’infini, la continuité, les limites, etc.
  3. on ne pouvait expliquer la généralisation de la notion de nombres (entiers, puis rationnels, réels, complexes, etc.)

Théorie des ensembles: On aboutit ainsi à l’idée que l’objet le plus général des mathématiques étaient l’étude des relations entre des objets abstraits, définis axiomatiquement, et sans rapport avec une quelconque réalité expérimentale. Cette idée aboutit à la création de la théorie des ensembles. Toutefois de nombreuses apories résultent de cette théorie:

Paradoxe du barbier: un barbier qui prétend raser tous les hommes qui ne se rasent pas eux mêmes doit il se raser lui même ? s’il le fait il a tord, car il ne doit pas raser ceux qui se rasent eux mêmes. S’il ne le fait pas il a tord, car il doit raser tous ceux qui ne se rasent pas eux mêmes.

Pour éviter ces difficultés les mathématiciens ont bâti une axiomatique bannissant les ensembles paradoxaux de la théorie des ensembles.


Logicisme: Doctrine selon laquelle les mathématiques sont une extension de la logique, ce qui garantit leur consistance, puisque la logique, sans aucun doute possible est consistante (Frege, Russel).

Formalisme (ou métamathématique ou théorie de la démonstration): L’idée générale du formalisme hilbertien est qu’il n’est pas possible de fonder l’arithmétique sur la seule logique, car certains concepts extra-logiques comme celui d’ensemble ou de nombre cardinal sont nécessaire pour exposer les lois logiques elle mêmes (il faut les considérer comme extra-logique car si on les fait dériver de la logique l’arithmétique devient un cercle vicieux).

Le formalisme consiste non seulement à se donner une axiomatique, mais aussi des signes conceptuels et la manière de s’en servir ; le problème essentiel du formalisme est de démontrer la consistance et la complétude des théories mathématiques.

Prouver la cohérence d’une théorie: la méthode générale est la suivante

  1. établir la liste de toute les propositions (axiomes et théorèmes) constituant la théorie
  2. établir la liste de toutes les propositions logiques de la théorie
  3. démontrer que l’on ne peut trouver en même temps une formule et son contraire (A et non-A ne coexistent pas dans la théorie)

Prouver la complétude d’une théorie: il s’agit de démontrer que quelque soit une proposition B de la théorie dont les variables sont liés par des quantificateurs, non-B est aussi une proposition de la théorie.

Théorème de Gödel: ce théorème semble mettre un terme aux entreprises formalisantes de la métamathématique. Il en résulte en effet que :

  1. l’arithmétique ne peut former un système complet car la non contradiction de l’arithmétique constitue dans ce système un énoncé indécidable
  2. Il est impossible par la métamathématique de prouver la non contradiction de toute théorie concernant l’arithmétique

L’intuitionnisme: Cette école des mathématiques a pour fondements des réflexions sur le principe du tiers exclu et de l’infini. On distingue par exemple:

Paradoxe de Galilée: un carré parfait est un nombre dont la racine est aussi un nombre entier. Il est évident qu’il y a beaucoup moins de carrés parfait que de nombres entiers. Or voyons les deux suites infinies, celle des nombres entiers et celle de leur carrés:

Suite n :1, 2, 3, …, n, …
Suite n² : 1, 4, 9, …, n², …

On voit qu’il y a autant de carrés parfaits que de nombres entiers, bien que l’ensemble des carrés parfaits ne représentent pas tous les nombres entiers.

La considération sur des ensembles infinis réalisés et non potentiels conduit souvent, comme l’exemple du paradoxe de Galilée, à des paradoxes (l’analyse en regorge)

La thèse intuitionniste: celle ci consiste à poser que la série des nombres entiers naturels dérive de l’intuition que nous en avons, au sens de la succession temporelle des instants de notre expérience. Tout l’édifice mathématique, par le biais de la géométrie analytique et l’analyse, repose ainsi sur l’arithmétique.

Le seul ensemble infini admis est celui des nombres entiers, lequel est pris en puissance, et non en acte. Les autres ensembles infinis sur lesquels on peut raisonner sont les ensembles dénombrables, qui se rapportent donc aux entiers naturels (Kronecker: Dieu a fait les nombres entiers, les hommes ont fait le reste).

Cette école a permis une approche très féconde sur l’analyse et des fondements des mathématiques.


Nature des êtres mathématiques:

Réalisme: Platon adopte une position réaliste, les mathématiques expriment des réalités au delà de l’expérience, relevées par une intuition intellectuelle immédiate, sans intermédiaires sensibles. On a affaire ici à un réalisme des essences (théorie des Idées). Cette thèse a le mérite d’expliquer la rigueur des mathématiques.

Psychologisme: les notions mathématiques et les lois logiques résultent de la projection des habitudes de la perception qui nous suggèrent de construire les théories mathématiques. Si tel était le cas le mathématicien, à l’instar de son collègue physicien, ne serait plus en sécurité quant aux fondements de sa science.

Conventionnalisme: (Poincaré) cette thèse considère que les notions mathématiques sont des conventions, exprimées par des axiomes. Les notions mathématiques ne sont donc pas de vraies et immuables nature, et ne sont pas non plus des idées abstraite de l’expérience sensible, ce sont de pures définitions conventionnelles qui témoignent de la liberté créatrice de l’esprit humain. L’écueil du conventionnalisme est la tautologie. Poincaré l’évitait par un acte de foi: par l’arithmétisation des mathématiques et par la croyance en la valeur souveraine du raisonnement par récurrence.


Possibilité des mathématiques: quelle est la nécessité des jugements mathématiques ? i.e. ce qui fait qu’elles sont et ne peuvent pas ne pas être. Le schéma génétique des théories mathématiques peut être décrit comme suit:
  1. tout commence avec l’expérience de la pluralité et de l’appariement terme à terme de deux catégories d’objets
  2. il est indifférent que cette expérience soit contradictoire ou implique des contradictions futures. Elle est résumable dans un nom: le nombre.
  3. Le terme nombre désigne tout élément d’un ensemble noté , et qui est ensemble des entiers naturels
  4. Le but n’étant pas de contempler passivement , on le dote de lois opératoires formelles, et on décrit ses propriétés par des axiomes. On munit ainsi l’ensemble  d’une structure
  5. Nous pouvons, par un calcul logique, énoncer les théorèmes dont l’ensemble constitue la théorie des nombres entiers, ou arithmétique.
  6. On généralise l’ensemble  en le dotant de nouveaux axiomes, suggérés non par l’expérience mais par certaines impossibilités opératoires sur . on définit ainsi l’ensemble  des entiers relatifs,  des rationnels,  des réels,  des complexes, celui des matrices et des nombres hypercomplexes. On engendre par là les autres théories mathématiques
  7. Toute théorie mathématique particulière peut être traitée par la théorie abstraite des ensembles, qui repose sur l’algèbre et la topologie

On parvient ainsi à une vison unifiée des mathématiques, considérées comme la théorie des structures de différentes espèces.


Adéquation des mathématiques au réel:

Lors de la mathématisation d’une expérience scientifique, on traduit les relations entre paramètres par des équations mathématiques. L’adéquation des mathématiques au réel n’est pas mystérieux ici, car la mathématisation de résultats d’expériences ne signifie pas que l’univers soit arithmétisable, il ne s’agit que d’un procéde d’induction.

Les lois déductives, comme celles de Newton, ne sont pas non plus mystérieuses: les principes sont en effet tirés d’expériences, et le calcul infinitésimal utilisé ne sert qu’au traitement des données expérimentales.

Le véritable problème de l’adéquation des mathématiques au réel apparaît lorsqu’on ne cherche plus simplement à traduire des faits expérimentaux par des équations, mais à construire une théorie, rendant certes compte des réalités physiques déjà connues, mais aussi capables de prédire de nouveaux faits, et de vérifier l’adéquation de ceux ci avec l’expérience. Le problème est de savoir comment une théorie abstraite, créée de toute pièce, convient si bien au réel.

Nous sommes ramenés là au vieux problème ontologique, et des rapports entre la substance et l’esprit.